Discours de Sa Majesté au Grand-Duché de Luxembourg, mai 2024
Discours de Sa Majesté Margareta de Roumanie
au Grand-Duché de Luxembourg, le 21 mai 2024
Votre Altesse Royale, Vos Excellences, Mesdames et Messieurs,
Le Prince Radu et moi-même sommes reconnaissants de votre aimable invitation à l’Institut Pierre Werner et du privilège de m’adresser à vous aujourd’hui. Nous devrions tous nous souvenir et faire honneur à l’héritage de Pierre Werner, non seulement en tant que serviteur loyal et de longue date de votre nation, mais également en tant que grand Européen, homme politique qui a contribué non seulement à l’intégration européenne mais aussi à la promotion de la culture de la conciliation et du dialogue au sein de notre Union. AGERPRES
Je pense que peu d’entre nous seraient en désaccord avec les priorités actuelles de l’Union européenne : la sécurité, ainsi que le respect des valeurs démocratiques et de l’État de droit, au profit de l’ensemble de notre continent. En effet, nos pays sont différents, et nous avons parfois des points de vue différents, mais notre diversité est notre force et, en fait, l’essence de notre Union. Le Kremlin ne nous a jamais pris au sérieux et a toujours supposé que nous étions divisés et faibles. Eh bien, nous avons continué à leur prouver le contraire au cours des deux dernières années.
Mais ma tâche aujourd’hui est d’attirer votre attention sur l’Est de notre continent et de vous demander de réfléchir aux potentiels dangers d’une escalade de l’agression lancée par la Russie contre l’Ukraine. Outre l’Ukraine, je voudrais évoquer un autre pays où l’Europe doit également prendre position si elle veut assurer la sécurité du continent: la République de Moldavie.
Mesdames et Messieurs,
Je n’ai jamais été d’accord avec ceux qui soutiennent que la guerre en Ukraine est une affaire limitée, qui concerne un seul pays. Comme nous le savons tous, l’invasion militaire totalement injustifiée et non provoquée contre l’Ukraine est le produit d’une idéologie impérialiste, une idéologie selon laquelle la Russie – qui est déjà le plus grand pays de la planète – doit s’agrandir encore et doit avoir une sphère d’influence en Europe. Nos nations soutiennent aujourd’hui les efforts d’autodéfense de l’Ukraine, non seulement parce que cela est juste du point de vue moral et justifié du point de vue juridique, mais aussi parce que nous savons qu’une victoire de l’Ukraine est essentielle pour la sécurité de l’ensemble de notre continent. La Finlande et la Suède ont récemment rejoint l’OTAN parce qu’elles ont compris que ce qui se passe en Ukraine bouleverse toutes nos hypothèses antérieures sur les accords européens de défense.
Pourtant, bien avant que les chars russes violent la souveraineté de l’Ukraine, la République de Moldavie, vulnérable, était déjà soumise au type d’agression et de stratégies russes qui ont ensuite ciblé l’Ukraine.
En effet, la République de Moldavie était l’un des premiers territoires de l’ex-Union soviétique à subir les techniques de déstabilisation de Moscou, désormais familières à chacun d’entre nous. La « République moldave de Transnistrie » – aujourd’hui mieux connue sous le nom de Transnistrie – a été créée dès 1991, avant même la dissolution officielle de l’Union soviétique. Aucun gouvernement au monde – pas même celui de la Russie – ne reconnaît cette soi-disant république. Toutefois, les troupes russes y sont présentes sous une forme ou une autre depuis plus de trois décennies.
La République de Moldavie était soumise à ces pressions et bien plus encore. Elle a survécu, mais elle est restée relativement pauvre et très vulnérable. Et juste au moment où elle élisait un dirigeant et un gouvernement pro-occidentaux déterminés à éliminer la corruption et à renforcer les institutions démocratiques, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a plongé la République de Moldavie dans une situation extrêmement dangereuse. Le lien entre la guerre en Ukraine et la situation en Moldavie est évident aux yeux de tout le monde et il perdure.
Mesdames et Messieurs,
Mon mari et moi avons visité la République de Moldavie maintes fois et je peux vous dire sans équivoque que les dirigeants actuels de Chisinau sont pleinement engagés en faveur de l’intégration européenne. Cependant, comme la présidente Maia Sandu l’a déclaré à plusieurs reprises, elle et son gouvernement mènent une lutte sans relâche contre les efforts de déstabilisation et la pauvreté. Nous pouvons être sûrs que, même si la guerre en Ukraine prend fin prochainement – ce qui est peu probable – les tentatives visant à déstabiliser la République de Moldavie ne feront, paradoxalement, que s’intensifier. Veiller à ce que la République de Moldavie reste fermement attachée à sa politique d’intégration européenne représente un élément indissociable de la garantie que l’Ukraine puisse continuer à se défendre; ce sont les deux faces d’une même pièce.
La situation en République de Moldavie reste donc à la fois précaire et critique. Les autorités de Chisinau ne cessent de mettre en garde contre la détermination de la Russie à déstabiliser le gouvernement moldave. Et cela parce que les troubles en Moldavie engendreraient un réel danger à l’arrière des principales lignes ukrainiennes qui continuent de résister à l’invasion russe.
J’entends parfois dire que la Roumanie tire la sonnette d’alarme à propos de la République de Moldavie parce que nous avons soi-disant des arrière-pensées, comme par exemple, la réunification de la Moldavie avec la Roumanie. Oui, nous partageons la même langue et la même histoire. Et oui, sans cette alliance fatidique entre Hitler et Staline, les peuples des deux rives du Prout, qui sépare la République de Moldavie de la Roumanie, seraient restés unis. Chaque fois que je me rends en République de Moldavie, je me sens chez moi. Et depuis la fin de l’occupation soviétique, notre histoire, notre langue et nos traditions communes fleurissent à nouveau, tout comme la mémoire du roi Ferdinand, mon arrière-grand-père, qui a scellé la création d’une Roumanie unie à la fin de la Première Guerre mondiale.
L’objectif que je me suis fixée, avec le soutien des gouvernements roumain et moldave, consiste simplement à garantir que la République de Moldavie ne soit pas touchée par la tragédie qui frappe actuellement l’Ukraine, que son gouvernement réformateur soit soutenu pour atteindre ses objectifs et que ses habitants puissent décider de leur propre avenir, plutôt que de laisser les autres décider à leur place.
Il est salutaire de savoir que la voie a été ouverte aux négociations pour l’adhésion de la République de Moldavie à l’Union européenne. Ainsi, la roue de l’histoire tourne, ramenant ce pays sur la voie européenne. Et c’est évidemment une bonne chose que la présidente Maia Sandu est accueillie à bras ouverts dans la plupart des capitales européennes.
Toutefois, je me sens obligée de l’ajouter: il faut bien prendre conscience de l’urgence de la situation en ce qui concerne notre soutien à la République de Moldavie. La crise sécuritaire actuelle, d’une gravité exceptionnelle en Europe, a rapproché encore plus nos nations, tant au sein de l’Union européenne qu’au sein de l’OTAN. Je voudrais citer la France et l’Allemagne pour leur contribution aux opérations de police de l’air de l’OTAN dans l’espace aérien de la Roumanie; celles-ci – ainsi qu’un certain nombre d’opérations militaires terrestres supplémentaires – ont agi et continuent d’agir comme un avertissement contre tout éventuel agresseur que nous ne pouvons pas être divisés dans notre détermination à défendre la sécurité et l’intégrité territoriale de notre continent. Je voudrais souligner en particulier les initiatives du président Emmanuel Macron visant à promouvoir une cohésion plus grande en matière de sécurité européenne, ainsi que la récente décision importante de la France de conclure un traité de sécurité avec la Moldavie. Nous avons tous noté le récent discours du président Macron à la Sorbonne; même si certains peuvent être en désaccord avec certaines de ses suggestions, personne ne serait en désaccord avec l’objectif de renforcer la cohésion européenne.
Je souhaite également saluer la contribution d’autres partenaires européens, dont le Luxembourg; votre aide militaire à l’Ukraine, annoncée en mars dernier, représente une contribution significative, alors que ce pays continue de résister à la guerre d’agression de la Russie. Toutefois, ce travail sera incomplet si la République de Moldavie n’est pas non plus stabilisée.
Je salue aussi la participation des soldats luxembourgeois au renforcement du flanc oriental de l’OTAN dans le cadre du bataillon multinational basé en Roumanie.
Oui, l’écart de développement entre la Moldavie et l’Union Européenne reste important. Et oui, il y a de sérieux problèmes de gouvernance dans ce pays. Mais, en même temps, les Moldaves sont probablement parmi les partisans les plus ardents de l’Europe. Et comme la population est modeste, le processus d’intégration ainsi que le prix à payer pour cela restent modestes.
En outre, comme le montre pleinement l’exemple tragique de l’Ukraine, ne pas saisir l’opportunité de l’intégration européenne supposerait un effort d’intégration ultérieur, beaucoup plus coûteux et désespéré. Quand la guerre en Ukraine prendra fin, l’Ukraine aura besoin de garanties de sécurité et d’importants fonds de reconstruction économique qui resteront sans effet si la République de Moldavie n’est pas incluse dans l’équation.
De plus, nos frontières orientales ne seront pas tranquilles tant que ces deux pays ne vivront pas en paix. Et, comme nous l’avons tous appris de notre propre expérience, ces nations ne trouveront la paix que si elles sont intégrées à notre famille. C’est aussi clair que cela.
Mesdames et Messieurs,
Je sais que nous sommes confrontés à de nombreuses autres priorités aujourd’hui et qu’elles sollicitent toute notre attention. Pourtant, au risque d’énoncer une évidence, d’habitude nous ne choisissons pas les crises; ce sont les crises qui nous choisissent. Anticipons, pour une fois, la prochaine crise. Faisons tout notre possible pour que la République de Moldavie reste entière et libre.
Merci.